Recours gracieux devant le Premier Ministre
Objet : Recours gracieux contre le décret n°2014-192 du 20 février 2014 portant révision de la carte cantonale pour le département de la Gironde
Monsieur le Premier Ministre,
Le Journal Officiel de la République Française vient de publier les 98 décrets portant révision des cartes cantonales consécutive à la modification du mode de scrutin des élus départementaux prévue par la loi n°2013-403 du 17 mai 2013 relative à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires et modifiant le calendrier électoral.
En décidant l’élection dans chaque canton d’un homme et d’une femme, le législateur a souhaité diminuer pratiquement de moitié le nombre des cantons de façon à ne pas augmenter sensiblement le nombre des élus dans les assemblées départementales. La loi ayant confié à des décrets en Conseil d’Etat le soin de fixer, pour chaque département, les modifications des limites territoriales des cantons, ainsi que les créations et suppressions de ces circonscriptions électorales, vous venez de prendre ces décrets, sur proposition du ministre de l’Intérieur, après avoir recueilli l’avis des conseils généraux et entendu le Conseil d’Etat, qui, s’agissant de décrets ″en″ Conseil d’Etat, est, ainsi que le considèrent les juristes, devenu ″co-auteur″ de ces textes, alors qu’il en sera demain le juge… Le voilà donc « juge » et « partie » ! Ce qui pose question désormais, sur son indépendance en tant que juge…
Comme nous pouvions le craindre au vu du projet de décret qui nous a été soumis le 4 octobre dernier en séance plénière du Conseil Général de la Gironde, la nouvelle carte cantonale, bâtie à la hâte, à Paris, par les collaborateurs de votre ministre de l’Intérieur, sans aucune concertation avec les élus de terrain, en particulier les maires et les présidents d’intercommunalités, l’ancien Président du Conseil Général, les Conseillers Généraux eux-même, ne répond à aucune logique, autre que démographique et politique. Ainsi en Gironde, ni les intercommunalités et les anciens cantons, contrairement aux déclarations officielles, ni les bassins de vie, n’ont été réellement pris en compte pour ces redécoupages.
Derrière l’excuse de moderniser les cartes et de féminiser de manière autoritaire le personnel politique, ce nouveau découpage girondin apparait, dès lors, aux yeux de tous, comme un tripatouillage grossier destiné à sous-représenter les territoires ruraux, à compliquer la réélection des conseillers généraux de l’opposition nationale et à favoriser celle des amis du gouvernement, tout en supprimant quelques élus communistes, soucieux de s’éviter un revers électoral au printemps 2015.
Le travail accompli par le ministre de l’Intérieur et ses collaborateurs est d’ailleurs tellement contestable que moins de 40% des départements ont approuvé la carte proposée, alors que l’arithmétique politique aurait dû garantir à la proposition gouvernementale un soutien confortable à hauteur de 60% des conseils généraux. C’est un désaveu cinglant de votre ministre de l’Intérieur. Un Ministre de l’Intérieur qui se verrait bien « le Premier » !
Aussi, le gouvernement s’honorerait en reconnaissant son erreur et en remettant l’ouvrage sur le métier. Il éviterait ainsi que la première campagne réalisée pour l’élection des conseillers départementaux ne se déroule dans un contexte d’incertitude juridique. En effet, la date trop tardive de la parution de ces décrets va faire coïncider l’année pré-électorale avec l’examen des très nombreux recours, visant chacun des décrets, par le Conseil d’Etat.
L’idée de bon sens qui pourrait être retenue serait de reporter l’application du nouveau mode de scrutin aux élections qui suivraient celles de mars 2015, quitte à faire voter par le législateur la réduction de la durée du mandat des conseillers généraux élus en mars 2015, de façon à ne pas trop retarder l’élection des nouveaux conseillers départementaux au suffrage binominal de candidats de sexe différent. Cette idée s’impose d’autant plus que le Président de la République vient de promulguer la loi qui, en donnant naissance aux métropoles, oblige à modifier radicalement l’organisation territoriale dans les départements concernés…
Ce nouveau découpage donne une part plus importante aux territoires urbains qui seront demain dans la métropole bordelaise. A fortiori le chef de l’Etat venant d’annoncer son intention de simplifier cette organisation et de faire des économies budgétaires, le temps d’une concertation sereine s’impose d’autant plus. Dans l’intervalle, le gouvernement, en s’appuyant sur les Préfets, devrait organiser dans chaque département une véritable concertation, qui associerait aux côtés des actuels conseillers généraux, les maires et les nouveaux conseils municipaux élus en mars 2014, la Commission Départementale de Coopération Intercommunale (CDCI), les SCOT, les nouveaux PETR que vous envisagez de créer fin 2015, les intercommunalités issues du SDCI, afin de faire émerger dans chaque département une nouvelle carte des cantons aussi consensuelle que possible. Vous savez très bien, le travail de grande ampleur mené sur les intercommunalités l’a montré, qu’il ne s’agit pas d’un vœu pieux mais d’une perspective tout à fait réaliste, car les élus locaux que nous sommes sont tout à fait disposés à faire prévaloir l’intérêt général et le bon sens des regroupements sur les logiques partisanes.
Aussi, Monsieur le Premier Ministre, ai-je l’honneur de vous demander de procéder au retrait du décret n°2014-192 du 20 février 2014 portant révision de la carte cantonale pour le département de la Gironde.
Je vous prie de croire, Monsieur le Premier Ministre, à l’assurance de ma haute considération ainsi qu’à celle des élus du Groupe Gironde Avenir, groupe d’opposition du Conseil Général de la Gironde, dont je suis le porte-parole.
Yves d’Amécourt